Claire Gaby

Femmes à la mer

En Septembre 2022, je décide de partir en mer pendant 5 jours pour un stage de voile embarqué. La particularité de ce stage est qu’il est en non-mixité. Sans le savoir, j’ai participé au premier stage 100% fémin proposé par l’association des Glénans, école de voile reconnue, basée à Concarneau (Bretagne).


La non-mixité au sein d’un groupe, c’est presque un gros-mot de nos jours. C’est une proposition qui fait débat dans une société où l’on pronne l’égalité Homme/Femme. J’ai moi-même eu ces questionnements : pourquoi rester entre femmes, alors que c’est quelque chose que l’on pourrait reprocher aux hommes s’ils se rassemblaient entre eux ? Quelle est la plus-value ? Ne serait-ce pas plutôt un pas en arrière dans la recherche de l’égalité ?


Ce n’était à la base pas de mon propre chef que je décide de réaliser ce stage uniquement avec des femmes. Je me suis inscrite avec une amie qui elle, est à un moment de sa vie où elle a décidé de s’éloigner des hommes et de s’entourer d’avantage de femmes, dans un ras-le- bol général de l’oppression patriarcale. Je l’ai suivie dans cette aventure sans trop me poser de questions sur ce qui pourrait changer au sein de ce groupe par rapport à un groupe mixte classique.


Je me retrouve donc à naviguer pour la première fois, aux côtés de Laure (kinésithérapeute, 25 ans), Clotilde (professeure des écoles, 38 ans), Ariane (ingénieure, 27 ans), Elise (psychologue, 27 ans) et Kiara notre monitrice (et la plus jeune d’entre nous, 23 ans). Après un mot de bienvenu commun à tous les groupes de stagiaires ponctué d’un brief sur les violences sexuelles et sexistes, nous embarquons à bord du voilier Guéotec, un Sun Odyssey 30I. Clotilde, la doyenne du groupe, est celle qui a le plus d’expérience parmis les stagiaires puisqu’elle a eu plusieurs fois l’occasion de naviguer aux côtés de son conjoint (en tant que passagère). Pour les autres et pour moi, c’est plus ou moins une première à bord d’un voilier. Très vite, un climat de confiance s’installe grâce à l’enseignement de Kiara qui nous met tout de suite dans le bain. À peine sorties du port de Concarneau, je me retrouve à barrer et mes coéquipières sont aux commandes des voiles. Naturellement, nous nous assurons que chacune ait essayé chaque poste à durée égale ou équitable si l’une de nous peine à comprendre une manoeuvre. Quand nous amarrons au port le premier soir, c’est un petit retour à la réalité : j’entends sur un autre bateau des Glénans à côté du notre un stagiaire reprendre sa monitrice sur une manoeuvre qu’elle maitrise parfaitement. Le fameux mansplaining s’est imiscé à bord de leur bateau - heureusement ce n’est pas le cas à chaque fois. 


La voile est un milieu très masculin. En discutant avec des monitrices des Glénans, nous apprenons que la plupart des femmes s’arrêtent aux niveaux 3 ou 4 des formations (sur 8 niveaux), et qu’elles deviennent de plus en plus rares au fur et à mesure que les stages s’intensifient. Elles sont très peu de monitrices, et ces stages 100 % féminins seront à long terme un moyen de savoir si les femmes ont plus tendance à continuer si elles ont la possibilité d’évoluer dans des formations non mixtes, où la légitimité à travailler dans un milieu sportif technique n’est plus remise en question, et où la promiscuité n’apparait plus comme un frein. Car en effet, les violences sexuelles sont présentes au sein de cette pratique, dénoncé par le groupe Facebook «Balance ta voile» qui signe «Ce qui se passe à bord ne reste plus à bord.» .

À notre retour sur la terre ferme, nous réalisons à peine ce que nous venons de vivre. Les personnes de l’école que nous croisons nous submergent de questions, femmes comme hommes, tous curieux et intéressés par cette première expérience non mixte. Ce désir de partage commun, laisse entrevoir l’évolution du milieu. Nous terminons le stage autour d’un verre face au port de Concarneau, et rencontrons d’autres monitrices de l’école, qui, avec notre retour d’expérience, sont pleines d’espoir de voir plus de femmes dans leur profession. À peine avons nous eu le temps de leur raconter notre semaine que l’une d’elle, d’un ton assuré, ajoute : «Vous ne le savez pas encore mais vous êtes de futures monitrices de voile.» 


Le temps lui donnera-t-il raison ?

Using Format